vendredi 16 août 2013

Comment j'ai mis le feu à mon lycée

Un jour, j'ai reçu une lettre m'invitant à participer à une réunion d'anciens élèves du lycée dans lequel j'avais passé trois ennuyeuses années. À la date indiquée sur le carton, j'avais justement prévu de me rendre dans le coin pour visiter ma famille à l'occasion du traditionnel repas de Pâques (nous ne sommes pas croyants mais enfin, c'est comme ça).

Sans trop savoir pourquoi, machinalement surement, j'ai marqué la date dans mon agenda. Les semaines se sont écoulées et la mémoire s'en est allée. Si bien que le jour fatidique est arrivé et je ne me souvenais absolument pas que quelques personnes, certainement bien intentionnées, avaient eu la riche idée de renouer contact avec le passé. Mais cette saloperie d'agenda a joué son rôle et je ne pouvais plus ne pas savoir.

Bien décidé à ne pas me bouger pour une bande de tarés qui regardent avec nostalgie la période où leurs faces de pet pullulaient de boutons plus immondes les uns que les autres, je suis allé prendre mon train pour rejoindre ma mère à la veille du festin familiale. Une fois sur place, j'ai eu le malheur de lui dire que le soir-même allait se tenir cette réunion de vieux barbouzes. Et à mon plus grand regret, elle trouvait ce genre d'initiative excellente et a même rajouté : "ça doit te faire plaisir". Ce à quoi j'ai faussement répondu que oui, ça me faisait plaisir, mais qu'ils avaient choisi la même date que le concert de Daniel Scintillant, le mec qui fait des reprises de Dany Brillant au banjo et que surtout, je voulais être en forme pour  recevoir la famille le lendemain midi. Ben voyons !

Ma mère a toujours su faire en sorte de vous imposer ses choix. Pour me pousser à me rendre à cette formidable soirée pleine de gens tous aussi formidables, elle m'a proposé une série de menus travaux en prévision du repas pascal. Bien entendu, ces travaux pouvaient attendre mais elle savait que je me défilerai et elle avait raison. C'est comme ça que j'ai finalement décidé d'aller à ce chaleureux rendez-vous du souvenir.

Les festivités se déroulaient dans la salle omnisports de l'établissement, endroit que j'admets avoir assez peu fréquenté dans ma jeunesse. Une fois passées les portes de la salle, j'ai dû affronter une foule à laquelle je ne m'attendais pas. Tous les anciens élèves avec lesquels j'avais passé mes années de lycée étaient effectivement réunis. Je me demandais vraiment pourquoi ils étaient tous là. N'avaient-t-ils rien de mieux à foutre ? Et puis c'est ma propre présence que j'ai questionnée : n'avais-je rien de mieux à foutre ? 
La réponse m'est apparue comme une évidence et j'ai décidé de quitter furtivement la salle. Mais alors que j'étais presque arrivé aux portes du gymnase, une voix a surgi dans mon dos: "Horny, Julian Horny !". Bien sur, j'ai hésité un instant avant de marquer un stop, conscient que je risquais de ne plus pouvoir m'échapper. Mais c'était trop tard, le piège subtil des retrouvailles s'était déjà refermé sur moi.

En me retournant, je constate que la personne qui m'interpelle est une femme de mon âge (la trentaine), rondouillarde aux yeux bleus dont les cheveux teints tendent vers le orange et ont la coupe des séries américaines des années 90. Je ne reconnais absolument pas cette personne mais, à la voir, je ne doute pas un seul instant qu'elle ait pu être élève de ce lycée de banlieue provinciale. "La Goule ! Fanny ! Fanny dite "La Goule" ! Tu me reconnais pas ?" D'un naturel digne des plus grands comédiens, je me suis exclamé "Mince alors ! Si je m'y attendais ! Fanny, comment vas-tu ?" Mon jeu d'acteur devait être au top parce qu'elle ne m’a rien épargné de ce que j'avais pu raté d'important dans sa vie ces 15 dernières années. Passionnant ! Le baccalauréat raté, les petits boulots sur les marchés, les enfants arrivés trop tôt, le mariage arrivé forcé, la maison dont on n'arrive plus à payer le crédit... "Enfin, tu vois ce que je veux dire". Non, je ne voyais pas.
Pour me tiré de cette mauvaise passe, je devais absolument trouver une excuse et le bar a toujours su m'en procurer de bonnes. J'ai donc demandé à La Goule de m'excuser parce que j'étais attendu près du buffet.

Ah ! Le buffet ! Au milieu des chips et d'une ribambelle de quiches faites maison, tout ce qu'il y avait à se mettre dans le gosier consistait en quelques bières tièdes et un punch dont la coupable me dit avec un petit sourire plein de malice : "attention, je l'ai un peu corsé". Mais manifestement, l'aimable mère de famille boursoufflée qui l'avait préparé avait du sauter l'étape rhum en lisant la recette. Bref, c'était la merde ! Enfin, pas tout à fait parce qu’à cette époque, je me déplaçais rarement dans ce genre de raout sans ma flasque chromée de 25cl remplie de Jack Daniels. Elle m'a souvent sauvé et elle allait recommencer.

Pour tromper l'ennui et rendre mon haleine suffisamment repoussante pour que  personne ne supporte une conversation avec moi, j'ai commencé à m'enfiler des lampés de Jack dans la discrétion de la buanderie du gymnase. Affalé là, au millieu du linge, j’étais tout à mon aise. Et puisque la tempête battait son plein dehors et que partout il était interdit de fumer, à chacune de mes pauses salvatrices, j'en profitais pour me griller une clope à l'abris des regards.

Le mélange bières tièdes, punch light et Jack Da commençait à faire son effet et je devenais de plus en plus sociable. Ainsi, au hasard de discussions endiablées, j'appris que Rémy Caustel était devenu ingénieur chez Renault, Marie Dumenge assistante de direction dans une agence immobilière, que Jean Astruc avait des actions Facebook et que Benoît Gautrand était, par chance, décédé. Quant à moi, puisque je ne faisais plus rien d'autre que voyager depuis plus d'un an, je racontais quelques unes de mes aventures à travers le monde. Mais étrangement, le nombre de places de parking disponibles dans leur lotissement les passionnaient plus que mes virées dans la jungle mexicaine. Peu importe, je multipliais les aller-retour dans ma cachette secrète.

Au moment où je commençais à m'amuser un peu, une forte odeur de brûlé a envahi la pièce. Une fumé noir s'est emparée de l'espace et quelqu'un est arrivé en criant : "il faut évacuer, il y a le feu !". Dans un calme relatif, tout le monde est sorti du gymnase pour constater qu’en effet le feu était là et même bien là. 
Retardés par la tempête qui n’en finissaient plus, les pompiers ont mis plus d'une demi-heure pour arriver. Attisées par le vent, les flammes s'étaient déjà emparées d'une bonne partie du bâtiment et la pluie n'y changeait rien. N'étant d'aucune aide et complètement trempé, j'ai décidé de regagner la maison de ma mère et de laisser partir en fumé tous ces souvenirs.

Le lendemain, un peu groggy par les mélanges de la veille, je me suis installé à la table de déjeuner où m'attendait toute la famille autour d’un gigot. Mon oncle, qui est toujours au courant de tout, me demanda:
"- T'étais pas à ton ancien lycée hier soir ?
- Si, pourquoi ?
- Le gymnase a brûlé.
- Oui, je sais.
- Ils pense que c'est peut-être criminel.
- Ah bon ?!?
- Oui, le départ de feu à eu lieu dans la buanderie. Ils pense que quelqu'un a jeté ses mégots dans le linge.

Alors j'ai bu un grand verre de vin et pris deux fois des flageolets. Je crois me souvenir que la viande était un peu trop cuite.

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