lundi 19 août 2013

Comment j'ai sauvé la vie d'un mec

La fête c’est bien, mais ça peut parfois très mal tourner. Bien que, contrairement à une croyance populaire, les free party ne soient pas vraiment plus exposées aux dangers en tout genre, elles n’échappent cependant pas aux risques inhérents à la réunion de joyeux drilles en mal de sensations fortes. Parfois, ces accidents me sont arrivés, comme la fois où j’ai failli perdre mes jambes après m’être endormi sous un camion, mais la plupart du temps, ce sont les autres qui en font les frais. 

Au milieu des années 2000, l’ambiance des free commençait à se déliter et on trouvait tout un tas de personnes dont on pouvait vraiment se demander ce qu’elles faisaient-là. Il y avait des petits étudiants plus habitués aux soirées de promotions des boites de nuit qu’aux squats, des petites kaïras venues dépouiller ces mêmes étudiants et faire leurs affaires avec quelques barrettes de shit ou autres stupéfiants frelatés, sans parler des teknivals où on pouvait voir le dimanche les voisins venir avec femmes et enfants circuler entre des mecs arrachés comme s’ils étaient en visite au zoo. La mixité c’est bien mais quand les gens bougent trop de leur place, il peut y avoir des débordements.



Ainsi, un soir de l’hiver 2005, après un apéro passablement arrosé et s’être entassés à 5 dans une Peugeot 104, je me suis rendu avec quelques amis à une de ces fêtes technoïdes qui se tenait dans les studios désaffectés de TLM, la chaine de télé lyonnaise, et où officiait aux platines, entre autres, Ixindamix. Dès notre arrivée, je sentais que l’atmosphère était étrange, quelque chose ne tournait pas rond. Bien décidé à profiter de ma soirée, je ne me suis pas trop focalisé sur mon impression et suis allé me poser devant les enceintes qui crachaient du gros son bien comme il faut. En traversant la salle, j’ai tout de suite remarqué une bande de mecs louches qui faisaient les poches des moins coriaces endormis aux quatre coins de la pièce. J’ai laissé faire.

Comme à mon habitude, je déambulais dans tous les endroits du squat, profitant des murs pour poser quelques tags maladroits, racontant aux inconnus des blagues salaces plus ou moins comprises. C’est à cette occasion que j’ai croisé un petit mec tout propret, la mèche blonde bien coiffée, 17 ou 18 ans, pas plus. Je me suis tout de suite demandé ce qu’il faisait là, il n’avait pas le profile du lieu. Je n’allais pas tarder à recroiser sa route.

La soirée battait son plein, les DJ rivalisaient de talent et la petite bande que nous formions était tout à fait motivée pour ne pas rentrer avant que le soleil hivernal ne soit au zénith. 
C’est en revenant d’une virée à l’extérieur du squat que, dans l’escalier qui menait à la fête, j’ai aperçu le petit gars croisé quelques instants plus tôt. Il était seul et je le voyais tituber. Pensant qu’il était saoul, je voulais lui demander comment il se sentait. Mais en m’approchant de lui, j’ai remarqué qu’il se tenait le cou et que ce qui semblait être du sang commençait à se répandre sur son t-shirt. Je lui ai donc demandé d’enlever sa main et là, le sang se mis à jaillir d’une large plaie. Il venait de se faire égorger. 

Sans trop chercher à comprendre les circonstances qui avaient pu conduire à son état, je le pris avec moi. Une fois dans le hall d’entrée, je l’ai allongé et couvert de mon manteau puis j’ai enlevé mon t-shirt et l’ai appliqué sur la blessure. J’ai ensuite demandé à un ami qui se trouvait là d’appeler les pompiers puis les flics. Si les premiers ont été assez rapides, les seconds ne comprenaient pas que nous étions dans un squat et ils ne cessaient de dire : «le lieu que vous indiqué n’existe plus. Si c’est une blague, vous allez avoir des problèmes» (pauvre type, va). En attendant que les secours arrivent, je ne cessais de lui parler pour le maintenir conscient, il tremblait et avait froid, pour le rassurer je lui disais : «c’est normal, c’est l’hiver». Mes amis essayaient de contenir la masse de badauds qui venaient admirer la scène. Je n’ai jamais compris cette volonté macabre de contempler la détresse des autres et ce soir-là, j’en étais excédé.  

Lorsque les secours sont arrivés et le prirent en charge, je n’eus plus de nouvelles. Pendant que les flics m’interrogeaient sur ce que j’avais pu savoir de cet incident, je ne voyais qu’une vague animation autour des camions de pompiers. Une fois l'interrogatoire terminé, seulement couvert de mon manteau et pris par le froid, je suis allé chercher mon t-shirt car, même couverte de sang et usée par le temps, je tenais à cette fringue. Les pompiers s’en étaient débarrassés dans une poubelle en me disant que ce n’était plus qu’une loque immettable. Puis ils m’ont expliqué que sans mon intervention, le jeune gars n’aurait peut-être pas survécu. Plutôt que de me rassurer, cette affirmation m’a glacé le dos. Plusieurs fois les images de la scène me sont revenues en rêve avec une précision effrayante.

Le lendemain, après avoir repris nos esprits, mes amis et moi sommes allés nous enquérir de ses nouvelles. Il était vivant, mais il allait avoir toute sa vie une monstrueuse balafre et certainement des difficultés à parler et se nourrir pendant un bon moment. Mais enfin, il était sauf. Je n'ai pas pris la peine de demander pourquoi une un tel extrême avait été atteint, ça ne me regardait plus.

Même si je le voulais, je crois que je ne pourrais jamais oublier cette nuit là. Et je me dis que c’est bien beau de vouloir tenter l’aventure en allant s’encanailler dans des endroits qu’on croit à sa mesure mais parfois, il vaut mieux rester chez soi.

1 commentaire:

  1. Je confirme tout est vrai ET dans les moindres détails...
    Bravo l'artiste...je continue de te lire avec plaisir.
    Biz

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